L’agriculture, pour une autre chaine de valeur
Lillian Nobilet
La crise sanitaire a révélé à quel point notre économie était mondialisée. La notion de chaine de valeurs s’est imposée à nous dans sa réalité la plus crue. Vous savez, c’est cette théorie qui pense les entreprises comme un point d’une gestion globale de flux, séparant les fonctions supports, les fonctions de productions, les services, le marketing, etc… Chacune de ces fonctions peut se retrouver sur des continents différents. Et nous avons ainsi réalisé que nous ne fabriquions plus de masques, ni de Paracétamol en France. La mondialisation c’est certes le contact avec d’autres cultures, d’autres pratiques, des ailleurs, mais c’est aussi une économie déconnectée de notre réel, de nos territoires de vie, parfois de nos besoins vitaux. Et cela ne concerne pas seulement les produits manufacturés. Nous nous sommes ainsi tous habitués à voir des fruits et légumes du monde entier sur les étals des supermarchés (Avez-vous vu dernièrement ces bottes de haricots verts venues du Kenya ?). Nous avons rencontré Jean Marie Vallée, 16e Vice-Président de Clermont Auvergne Métropole, délégué à l’agriculture, l’alimentation et la biodiversité, pour savoir comment la Métropole appréhendait la question.
M. Vallée, que recouvre concrètement votre délégation, qui peut surprendre pour une métropole ?
S’il fallait résumer en une phrase, je dirais que l’objet de ma délégation est la reconquête pour une agriculture et une alimentation locale de qualité en lien avec une préservation du foncier agricole. C'est à dire que nous devons investir et nous réapproprier un paysage qui limite voire lutte contre l’artificialisation des sols. Les catastrophes que nous avons pu observer en Belgique, en Allemagne montrent combien cette question va devenir cruciale pour pouvoir faire face aux conséquences du dérèglement climatique. L’idée au départ est de maintenir, voire développer la présence de terres agricoles cultivées en périphérie de la Métropole. C’est un enjeu fort ou agriculture, biodiversité et gestion de l'eau sont liées et sont des facteurs pris en compte par plusieurs métropoles en France
Cette compétence agricole est déjà très investie par la Région, le Département, la chambre de l’agriculture. Quelle est votre approche ?
Cela n’a pas toujours été simple, mais les points d’articulations ont vite été trouvés dans des logiques de complémentarité. Nous avons ainsi fait valoir une connaissance très fine du territoire et une capacité d’accompagnement au plus près du terrain. Les défis sont tels que la coopération est de toute façon indispensable. Savez-vous que nous n’avons plus d’abattoirs ? Aujourd'hui la filière agricole locale est en mutation voire en transition car elle doit répondre aux changements globaux (climat et biodiversité) et à la demande des citoyens.
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par artificialisation des sols ?
L’urbanisation entraine une pression foncière importante, au détriment des terres agricoles. Il faut se rappeler que quand on parle de maraichage par exemple, cela renvoie aux cultures pratiquées dans les marais autour des villes. Chez nous, la fracture a commencé lors des trente glorieuses où les zones d'activités ont remplacé la campagne de proximité. Il n’y a pas si longtemps les vignes, les jardins vivriers existaient au Brezet, c’étaient des terres agricoles. Tallende était connu pour ses vergers.
Cette disparition de terres agricoles a de multiples conséquences. Sociales, car les terres agricoles font vivre des familles, mais ce sont aussi des jardins partagés où se tissent des solidarités, et qui permettent de l’autoconsommation. Environnementales bien-sûr, car notamment les prairies, les forêts des franges métropolitaines sont des éléments déterminant pour la biodiversité, pour la régulation de l’eau.
Ce sont aussi des paysages, il faut redéfinir notre rapport avec ce qui nous entoure notamment avec le concept de faire avec la nature et non contre développé par les travaux de Gilles Clément.
Cela résonne très fortement avec les enjeux de développement durable.
Oui, il y a globalement une conscientisation des enjeux, avec des attentes et des pratiques des citoyens qui évoluent. Les travaux de la convention citoyenne sont remarquables.
Les mentalités évoluent, la moindre consommation de viande par exemple en est un élément marquant. C'est à dire que les citoyens comprennent les liens entre consommation d'énergie pour produire, et effet sur leur alimentation.
Et cela révèle des aberrations : la demande de légumes bio explose, et nous sommes obligés d’en importer. En réponse, il y a une forte demande de relocalisation de la production.
Car, il ne faut pas oublier que la filière agricole c'est aussi de l'économie, des emplois avec un souci de faire vivre nos territoires.
Concrètement qu’est-ce que met en œuvre la Métropole pour répondre à cette question de l’artificialisation des sols ?
IL faut maintenir un tissu de terres agricoles autour de la métropole. Un chiffre : la métropole perd 70 ha par an de terres agricoles, ce phénomène est renforcé par le vieillissement des agriculteurs qui ne trouvent pas de
repreneurs. Nous voulons donc faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs, en facilitant l’accès au foncier, en les accompagnant le temps que leur modèle économique se stabilise.
En outre, nous devons dialoguer avec l'ensemble des agriculteurs et leurs instances car leur profession est difficile. Il faut tisser des liens avec les agriculteurs et les citoyens vers une agriculture de qualité où l'agriculture dite conventionnelle ne s'oppose pas à l'agriculture bio.
Par exemple, nous travaillons pour cela à la création d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif « la ceinture verte », avec un objectif de 20 installations de maraichers dans les cinq années à venir. L’idée est que la SCIC permette l'installation de candidats issus soit de ferme test soit de formation agricole avec une sécurité foncière, des investissements et un accompagnement sur au moins 3 ans.
Notre ambition est de créer de véritables entreprises autonomes, structurées avec des débouchés garantissant des revenus.
Cette société coopérative fera appel à un large partenariat qui permettra de mobiliser des fonds pour ces installations.
Au-delà de l’accompagnement et de la facilitation à l’installation, il y a la question de la commercialisation qui se pose, la métropole a-t-elle des leviers ?
Oui, je vais y venir, mais il faut savoir que nombre d’acteurs ne nous ont pas attendu, beaucoup d’initiatives collectives contribuent à structurer la filière maraichère. Je pense à des initiatives comme Auvabio qui regroupe une quarantaine de producteurs.
Le levier de la métropole, c’est la commande publique pour la restauration collective. Nous amorçons un cercle vertueux, avec une nourriture de qualité, produite localement. Au-delà de la commande publique, la restauration collective en elle-même est l’occasion d’actions intéressantes.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
L'alimentation est un enjeu fondamental sur deux points essentiels :
la santé en luttant notamment contre l'obésité et les maladies induites par un alimentation trop riche et déséquilibrée et le coût d'une alimentation diversifiée et de qualité.
Il faut donc agir sur la filière restauration collective c'est à dire accompagner les cuisines centrales pour réussir à manger mieux, bon et local, avec des prix de revient maîtrisés.
Cette stratégie est déjà en œuvre dans certaines communes mais elle doit se généraliser en créant des liens, en innovant et en développant les échanges et les formations.
Ces nouvelles pratiques qui valorisent des légumes locaux, parfois oubliés, mettent en valeur le goût et la découverte de la culture alimentaire. Se nourrir ce n’est pas qu’une question de nutrition, c’est une question de goût que nous cherchons à remettre en valeur. C’est aussi la lutte contre le gaspillage alimentaire. A terme, en facilitant l’installation, en contribuant à assurer des débouchés nous souhaitons baisser les prix de nos produits locaux et de qualité pour en faciliter l’accès au plus grand nombre.