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Un temps de Nicolas…  

Lillian Nobilet

6h30 du matin. La fraîcheur hivernale nous gèle les os. Le parking est désert. Nous devinons les lueurs de la ville encore assoupie qui dessinent un halo blafard à l’horizon. Certains frappent le sol avec leurs pieds pour se réchauffer, d’autres soufflent dans leur mains jointes… Nous finissons par rentrer dans le camion, équipé d’un chauffage autonome. C’est plus prudent. Nous ne nous sommes pas préparés à une telle attente, à un tel froid, à une telle nuit. L’inquiétude nous gagne : Allons-nous arriver assez tôt ? Ou plutôt : Va-t-il finir par arriver ?

Il ne s’agit pas du début d’un mauvais scénario d’une série sur Netflix. Non, c’est un jour ordinaire pour le groupe que nous sommes et qui a décidé de participer à un atelier photographique animé par Nicolas Anglade. Ce jour-là nous avions prévu de photographier le lever de soleil au sommet du Puy de la Tache. Nous avions convenu d’un point de rendez-vous en périphérie de Clermont-Ferrand. C’est ce jour que le réveil de Nicolas a décidé de tomber en panne. Pour de vrai. Sans rire. Enfin si, mais après.

Plus tard, les personnes que nous avons croisées et qui descendaient du Puy alors que nous arrivions tout juste au sommet nous ont assuré de la beauté du moment qu’elles venaient de vivre. Maigre consolation…

Nicolas Anglade donne souvent l’impression d’être un personnage sorti par inadvertance d’une BD de Franquin ou de Gotlib. Vous savez, celui avec un nuage noir au-dessus de sa tête qui l’arrose insolemment alors que tout le monde autour baigne dans le soleil. Vous croyez que j’exagère ? A l’occasion d’un reportage photographique pour une revue de voyage, la journaliste qui l’accompagne note en ouverture de son article : [c’est] « un photographe avec qui j’ai partagé des reportages dans la pluie, le brouillard et le vent, qu’il a le don d’attirer comme un aimant ». Nous pouvons le confirmer. Comme un aimant vraiment très puissant. La pluie ou le vent. Parfois les deux. Nous appelons désormais ça un temps de Nicolas.

Mais il n’y a pas que le registre météorologique pour lequel un étonnant magnétisme opère... Nous nous sommes découverts lors de nos pérégrinations photographiques un intérêt pour les constructions abandonnées. Après avoir traîné nos objectifs dans un hôtel qui n’avait pas vu un client depuis plusieurs décennies à la Bourboule, Nicolas nous propose lors d’une nouvelle sortie (pluvieuse) une ancienne colonie de vacances du côté de Murat-le-Quaire. Elle est à vendre depuis des années, mais Nicolas est sûr de son bon état : Une de ses connaissances y était il y a peu et le lui a assuré. Arrivés sur place, il nous a fallu un certain temps pour comprendre que l’escalier de secours en métal et en béton qui gisait tristement au fond de la parcelle boueuse était le dernier vestige de ce qui il y a quelques jours encore était une colonie de vacances… Elle avait été rasée !

Mais peu importe bien-sûr, l’essentiel de cet atelier au long cours est ailleurs.

L’aventure a commencé en avril 2023, elle trouvera son terme en avril 2024, lors de l’exposition de nos travaux. (Nous comptons sur vous pour le vernissage). Ce projet s’inscrit dans la volonté du CSE chaque année de permettre qu’un projet artistique soit réalisé par des adhérents accompagnés par une ou un artiste reconnu. Il s’agit à la fois de découvrir un art, un ou une artiste et de pratiquer, de faire œuvre collectivement. Nicolas Anglade est un compagnon de route du CSE, il a été le premier à exposer dans nos locaux rénovés.

C’est un atelier photographique, donc il a été question de techniques bien-sûr, y compris les plus fondamentales. En effet, parmi la dizaine de personnes qui compose le noyau dur, certaines découvraient le fonctionnement de leur appareil photo. Mais cela n’a jamais été un souci. Que l’on soit venu avec un réflex dernier cri ou son smartphone, tout le monde trouve sa place, et y trouve son compte. C’est l’autre art de Nicolas : quelles que soient son appétence, son expérience, ses connaissances, le regard peut toujours être l’objet d’un travail. Car c’est bien de cela dont il s’est agit tout au long de cet atelier. Le regard lors de la prise de vue tout d’abord. Soustraire au réel une image, une lumière. Mais peut-être plus encore le regard lors des séances d’Editing, où l’on découvre nos photos imprimées de la précédente sortie. Plusieurs centaines à chaque fois, car la consigne est de ne pas trier à priori. Tout est scruté collectivement. Et séance après séance nos regards changent. Des photos que d’aucuns trouvaient absolument inintéressantes se révèlent finalement précieuses. Des photos présentées initialement non sans fierté perdent de leur clarté. Il ne s’agit pas d’imiter feu le calendrier PTT, il s’agit de faire œuvre collectivement. Et nos regards composent des rimes photographiques, révèlent leur rythme, découvrent leur matière… Un flou bougé, une profondeur de champ inattendue, une surexposition ou une sous-exposition semblent soudain mieux révéler la lumière…

Nous nous sommes retrouvés il y a peu au vernissage de l’exposition de Nicolas à l’espace d’exposition de la Canopée aux Carmes. Nous avons tous pris je crois alors la mesure du changement. Notre vue a décuplé, et le plaisir à voir, à regarder, à partager tout autant. J’espère que ce plaisir que nous avons pris trouvera un écho dans le regard que vous y porterez, à partir du 4 avril dans le l’espace Expo du CSE.

www.nicolasanglade-photographik.fr

Spot Magazine no 30à l'ouvrage

Auteur·e·s :
Lucie Jolivel, Cindy Brun, Morgane Ranzini, Lillian Nobilet, Caroline Mitlas, Michel DESORMIÈRE