L’enfance masquée
Lillian Nobilet
Avons-nous pris la mesure de combien ce que nous avons vécu est marquant ?
Depuis deux ans la maladie a heurté, et heurte encore (à l’heure où j’écris cet article, j’ai le covid !) notre quotidien. Non pas comme une abstraction, une hypothèse ou une appréhension, non, la maladie est là. Même en bonne santé, c’est comme si nous étions malades : le COVID a imprimé, marqué, griffé nos quotidiens. Masques, distance sociale (quel est l’imbécile qui a voulu nous imposer cette expression ?) puis physique, tests, autotests, déclaration de maladie, confinement, isolement, vaccin (1.2.3.4…), pass vaccinal, amendes pour une cigarette fumée sur le pas de sa porte, plages désertes et randonnées interdites, rayon d’un kilomètre pour se déplacer, apéros en visio-conférence…
Avons-nous pris la mesure de combien ce que nous avons vécu est marquant ?
Nous n’avons toujours pas retrouvé la normalité du « bonjour ». Ce rituel fondamental du lien a été profondément perturbé, que va-t-il devenir ? Allons-nous retrouver la chaleur de la poignée de main, ou la douceur de la bise pour et de nos amis et amies proches ? Allons-nous enfin abandonner cet échange de coups de poing coups de coude (les mains mêmes fermées, c’est sale), qui ritualisent la mise à distance plutôt que le lien que nous avons besoin de réaffirmer chaque jour ? L’autre drame de cette maladie, après les deuils qu’elle a provoqué, c’est qu’elle pose l’autre, notre prochain, notre proche-ailleurs comme un risque, une peur qu’il faut maintenir à distance.
Avons-nous pris la mesure de combien ce que nous avons vécu est marquant ?
Nous sommes un animal du lien. Je vous renvoie à l’excellent ouvrage de Boris Cyrulnik « sous le signe du lien ». L’enfance et la petite enfance sont ces lieux depuis lesquels nous grandissons par les liens que nous tissons. Ce serait sans doute à peine exagérer que se dire que grandir, c’est savoir entrer en relation avec l’autre, l’altérité. L’enfance et la petite enfance sont ces périodes desquelles la construction de l’adulte dépend beaucoup. C’est pendant cette période que se joue l’acquisition du langage. Le langage qui nous relie.
Avons-nous pris la mesure de combien ce que nous avons vécu est marquant ?
Des chercheurs se sont intéressés à l’effet que pouvait produire le port du masque auprès des jeunes enfants, notamment dans les crèches1. La parole ne fait pas que s’écouter, elle se regarde aussi. Le masque qui cache une part importante de notre visage, et particulièrement notre bouche, complique la tâche du jeune enfant. Les apprentissages sont plus lents, et surtout les jeunes enfants peinent à identifier quel adulte parle et donc à entrer en interaction. La capacité d’adaptation des enfants est cependant également soulignée par les professionnels interrogés. S’il est encore difficile de mesurer avec précision l’impact du port du masque pour la petite enfance, un point semble faire consensus : le port du masque dégrade le lien, le sentiment de bien accueillir, d’interagir. Le masque par définition contribue à nous couper du monde.
Nous avons bien sûr toutes et tous pris la pleine mesure de combien ces deux dernières années ont été marquantes. Nous avons toutes et tous pris la mesure de la nécessité du lien entre nous, avec et entre nos enfants. Médiathèque, spectacles, ludothèque, projections, animations. Nous mettons tout en œuvre pour que nos enfants tombent le masque, et que nous puissions le faire avec eux. Une certitude : la crise sanitaire nous a séparés, il est temps de nous retrouver. Au CSE et ailleurs !