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L’égalité, un enjeu dès l’enfance…

Lillian Nobilet

à n’en pas douter, il y a un avant et un après #Metoo. Ce mouvement social, que l’affaire Weinstein en 2017 a contribué à rendre mondial, a permis à nombres de femmes victimes de sortir du silence. La culture de l’impunité masculine a été mise en pleine lumière, et a révélé les rapports de domination homme-femme qui la rendent possible.

“ Eduquez vos fils “ est alors un slogan à nouveau brandi par des mouvements féministes. La réponse éducative apparait en effet comme une évidence pour dépasser une situation dont on prend enfin la mesure du caractère inacceptable. D’autant que, à bien y regarder, on peut voir que dès l’enfance des schémas se mettent en place. Yves Raibaud est un universitaire, maître de conférences en géographie, qui travaille notamment sur la question du genre. Il s’est ainsi intéressé à la répartition des filles et des garçons dans les cours de récréation. Il a observé comment le choix des jeux qui ne prennent pas de place répartissaient les filles à la périphérie, et au contraire comment ceux des garçons vers les jeux de ballon amènent ceux-ci à occuper l’espace central de la cour. C’est quelque chose qui est tout à fait intégré par les jeunes filles. Dans le court métrage “Espace“ réalisé en 2014, Eléonor Gilbert1 fait témoigner une enfant de son expérience de la cour de récréation. Pour appuyer son discours, celle-ci dessine la cour de son école, en expliquant qu’elle « colorie comme ça les endroits où on ne peut pas jouer, enfin les filles parce que les garçons ils ont droit de jouer au foot ». Derrière la question d’avoir le droit ou pas, il n’est bien sûr pas question d’une quelconque règle écrite, mais d’une répartition dans l’espace des filles et des garçons socialement construite.

Il y a un fort enjeu à proposer des activités collectives, mixtes qui permettent de travailler autrement la question de la répartition des rôles et dans l’espace, dans la cour d’école, dans des centres de loisirs, ou encore dans le cadre des colos. Cela passe par une réorganisation matérielle des lieux, du matériel de jeu qui permettent aux enfants de recomposer d’autres relations. Le choix des activités proposés par les adultes peuvent également être autant d’occasion de sortir de ces déterminations. Il s’agit alors de trouver des jeux qui n’assignent pas les filles et les garçons à des jeux de filles ou de garçons, mais qui au contraire permettent la coopération. Le jeu est en effet un opérateur de genre, c’est-à-dire que, même si théoriquement ou dans l’intention, un jeu proposé ou installé ne vise à séparer les filles et les garçons, dans les faits c’est ce qu’il fait. L’installation d’un city-stade n’est jamais envisagée comme une occasion de satisfaire seulement les garçons, pourtant ce sont eux qui vont systématiquement se l’accaparer.

Il y a des chemins de traverses, des détours qui permettent de dépasser ces constats. L’association « Jouer pour vivre »2 par exemple avec un dispositif « la boite à jouer » propose de détourner des objets usuels pour permettre à la créativité des enfants d’en faire des jouets. Ces détournements permettent d’éviter ou d’esquiver le risque du jouet opérateur de genre. Il faut imaginer une malle dans laquelle il est mis à disposition des enfants : des tuyaux, des cônes de chantiers, un fauteuil roulant… Autant d’objets qui ne sont pas des jouets mais qui sont investis comme tels, et dont l’incongruité permet d’éviter tout usage stéréotypé en leur conférant une neutralité. Une petite fille pousse un garçon dans le fauteuil roulant, le cône ou un tuyau devient un porte-voix dans lequel alternativement filles et garçons s’époumonnent. La boite à jouer permet de faire de la mixité une occasion de coopération.

Ce type de dispositif fait échos aux pratiques des mouvements d’éducation populaire, des enseignants et animateurs qui s’engagent dans des pédagogies actives. Cela repose sur une conviction : il n’y a pas de discours éducatif, mais des situations éducatives qui permettront demain de voir dans une cour de récréation une nouvelle répartition des espaces dans lesquels filles et garçons jouent ensembles aux ballons ou à la corde à sauter…

1 - Le film est accessible en ligne (cf QR code), vous pouvez le trouver facilement grâce un moteur de recherche

2 - www.jouerpourvivre.org

Spot Magazine no 29WE CAN DO IT

Auteur·e·s :
Odile Duplessy, Cindy Brun, Morgane Ranzini, Lillian Nobilet, Hélène Baldassin, Michel DESORMIÈRE