Danserez-vous la Bamba ?
Lillian Nobilet
La Bamba vous connaissez ? Non, il ne s’agit pas de ce morceau que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais d’un projet innovant d’écoquartier de la ville de Clermont Ferrand, inscrit dans le réseau national « Démonstrateurs de la Ville Durable ». Il vise à illustrer « la diversité des enjeux de transition écologique et de développement durable des espaces urbains français. […] la stratégie a été lancée par le Gouvernement en faveur de villes sobres, résilientes, inclusives et productives ». Nous allons essayer dans ce dossier central d’en savoir un peu plus. Tout d’abord en demandant à M. Gregory BERNARD, 6e adjoint au Maire en charge de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’architecture, de nous expliquer dans quelle vision et stratégie de la ville s’inscrit ce projet. Nous nous sommes également rapprochés de deux salariés de la manufacture qui explorent la possibilité de faire construire, et donc de vivre, dans cet écoquartier.
M. BERNARD, il n’est pas facile d’avoir la charge de l’urbanisme aujourd’hui dans une ville métropolitaine… N’est-ce pas n’avoir à gérer que du mécontentement ?
"Non, non, c’est passionnant, même si je reconnais que ce n’est pas toujours facile ! Il s’agit en effet de répondre à des besoins, des enjeux parfois si contradictoires… Pour illustrer simplement : la Métropole Clermontoise a un solde de population positif, elle est attractive. Il faut donc répondre à un besoin croissant de logements. Mais en même temps, au regard de la nécessité de protéger les paysages, la biodiversité, les terres agricoles, il faut absolument limiter l’étalement urbain. Ajoutez à cela une profonde et rapide transformation des attentes des habitants vis-à-vis de leur ville, sans que tout le monde soit d’accord, pour de nouvelles mobilités, pour plus d’espaces verts..."
Je me permets une provocation : ne sommes-nous pas aussi un peu en retard sur tous ces sujets ? C’est comme si la richesse de notre environnement naturel nous avait empêché d’envisager notre ville comme un lieu où le végétal avait sa place ?
Clermont-Ferrand possède un écrin extraordinaire entre le val d’Allier, la chaîne des Puys, les deux parcs naturels régionaux et une plaine agricole parmi les plus riche d’Europe… Clermont-Ferrand est une ville industrielle, mais qui est inscrite dans une histoire rurale, paysanne. Même au plus fort de l’industrie, ses habitants ont été très fortement reliés à l’environnement naturel et agricole périphérique. Nos exigences vis-à-vis de la ville ont été conditionnées par cette histoire et cette configuration géographique particulière. En un temps très court, de nouvelles attentes ont vu le jour. Nous les intégrons avec une transformation de la ville plus piétonne, plus cyclable, plus verte. Mais cela prend du temps… Le temps de l’urbanisme n’est pas tout à fait celui des idées, ou des attentes. Il y a une impatience citoyenne à laquelle nous essayons de répondre au mieux. Nous avons pris un tournant important depuis 2014 avec Olivier Bianchi. "
Pouvez-vous nous donner un exemple de ce tournant ?
"Le projet Inspire en est une illustration en ce sens que ce n’est pas qu’une réponse aux enjeux de mobilité, c’est une transformation de la ville en profondeur. Regardez par exemple la transformation de l’axe Ballainvilliers – Vercingétorix qui touche la ville en son cœur, il va être extrêmement végétal, avec une désartificialisation des sols, il participe à la reconfiguration de la place de la voiture dans la ville. Nous envisageons aussi une refonte de la place Delille, qui est aujourd’hui une place pour les voitures. La nature y aura sa place, avec la réalisation d’ilots de fraîcheur. Pour illustrer cette question de la temporalité et de ses malentendus j’aimerais vous parler de la place de Jaude. Savez-vous qu’il y a une centaine d’arbres sur la place ? Vérifiez la prochaine fois que vous vous y rendrez. On ne s’en rend pas compte car ils sont jeunes, ils ne font pas encore d’ombre. À eux aussi, il faut laisser le temps.
D’un point de vue plus global, nous sommes bien sûr dans une projection temporelle liée au terme du mandat. Nous avons en tête qu’il faut avoir tenu concrètement nos engagements pour 2026. C’est ce qu’attendent les Clermontois. Mais j’ai aussi en tête 2050, et la ville doit trouver des réponses à la crise climatique, à une société de l’après pétrole."
Pouvez-vous nous dire ce qu’est le projet Bamba et en quoi il s’inscrit dans cette vision ?
"C’est à la fois très simple et très ambitieux. Il s’agit d’offrir la possibilité d’habiter à Clermont-Ferrand, c’est-à-dire au cœur de la métropole, d’être connecté aux transports en commun, à un réseau de pistes cyclables, dans une forme de logement qui correspond aux aspirations contemporaines d’un habitat individuel avec un jardin. C’est une demande sociale qui trouve trop souvent réponse dans l’éloignement de la ville, et impose l’utilisation de la voiture pour faire 30, 40 voire 50 km pour se rendre sur son lieu de travail en ville. C’est ce qui provoque ces déplacements pendulaires, et les bouchons, le matin et le soir. Et plus le foyer est modeste, plus l’éloignement est grand. Les coûts environnementaux, économiques et sociaux nous poussent à chercher des alternatives, à des tarifs qui ne soient pas excluants, j’insiste sur ce point. D’une certaine manière, cela peut faire échos avec les maisons Michelin, elles ont participé à un progrès social en offrant à des familles modestes des conditions de vie réservées aux plus aisés. "
Au-delà des principes que vous exposez, concrètement comment comptez-vous atteindre ces objectifs ?
"Avant de vous répondre, il y a un préalable qu’il me semble important d’exposer. Nous sommes dans une démarche expérimentale, et comme toute expérimentation il y a du tâtonnement. Nous nous autorisons le droit d’inventer en marchant… je suis sûr que cela parle aux salariés Michelin, la recherche est dans l’ADN de l’entreprise. C’est l’originalité de notre démarche. Nous cherchons à faire l’opposé de ce qui prévaut souvent à la réalisation d’un espace de lotissement qui impose des tailles de parcelles, des contraintes architecturales pour la construction. À Bamba, chaque parcelle sera unique, car ce sera celle qu’aura décidée le foyer qui vient s’installer. Cela permet aussi une grande flexibilité pour les tarifs, la taille du foncier est une variable qui permet d’ajuster son budget. Le rôle de la collectivité n’est plus alors de s’assurer d’une conformité à un modèle défini à priori, mais d’accompagner chacun dans la réalisation de son projet. Il n’est pas simple pour les primo-accédants de faire construire, de formaliser une commande à un architecte ou un maître d’œuvre. L’originalité de ce projet c’est son inscription dans les principes sociaux et environnementaux que j’ai expliqués tout à l’heure, tout en individualisant le plus possible les habitats. C’est en ce sens que le projet diffère des maisons Michelin que je citais en exemple. Il s’agit de répondre à la grande hétérogénéité des besoins de notre époque."
Vous auriez des exemples de cette diversité des besoins identifiés ?
"Bamba doit pouvoir répondre à un besoin d’habitat intergénérationnel, il y a en effet une demande d’un logement qui permet d’accueillir ses parents, dans des modalités qui permettent d’habiter proche les uns des autres mais séparément. Des pratiques d’habitats participatifs émergent également. Il s’agira aussi de pouvoir travailler à Bamba, que ce soit par l’installation de son entreprise ou par exemple la construction d’un bureau au fond du jardin pour télétravailler. Mais plutôt que de présenter un catalogue des possibilités, j’aimerais insister sur la flexibilité, la souplesse du projet Bamba pour s’adapter aux habitants, plutôt que de demander aux habitants de s’adapter à Bamba. Cette manière de faire, expérimentale, nous y prêtons une attention particulière car cela pourra préfigurer une manière d’envisager des réplications, ailleurs sur la métropole. "