Mon père j'ai péché
Jean-Claude Rigal
AUJOURD'HUI C'EST UN PÉCHÉ MIGNON. MAIS DANS LE MONDE CHRÉTIEN, LA GOURMANDISE A D'ABORD ÉTÉ UN PÉCHÉ CAPITAL AVEC LEQUEL IL A FALLU COMPOSER PENDANT DES SIÈCLES...
Le péché de gourmandise (au sens de goinfrerie et de gloutonnerie, il est vrai) apparaît au début du IIIe siècle. Pour les autorités religieuses, il s'agit déjà de contraindre le ventre pour faciliter l'élévation de l'âme vers Dieu, la gourmandise étant utilisée par le diable pour tenter les moines.
L'orgueil, l'avarice, l'envie, la colère, la gourmandise, la luxure et la paresse sont les sept péchés capitaux codifiés pour l'Occident chrétien par le pape Grégoire le Grand à la fin du VIe siècle. Le péché de gourmandise, mortel ou véniel au regard des circonstances dans lesquelles il est commis, est associé aux plaisirs du bas-ventre, la luxure, qui provoque des dérèglements de la chair conduisant à la volupté. Bigre ! L'église condamne ainsi fermement ceux qui mangent avec avidité et excès, bafouant le principe de charité chrétienne et de partage, tout en laissant planer le doute d'une sexualité condamnable.
Pour autant, l'autoproduction et le travail manuel faisant partie de la logique monastique, les communautés religieuses vont être les premières – et pour longtemps – à générer la tentation en diffusant une production de produits réputés et gourmands autour du verger, de la bière et du fromage. Tout comme l'église a largement contribué à généraliser la consommation du chocolat en Europe.
"La gourmandise commence quand on a plus faim." Alphonse Daudet
Au Moyen-Âge, la représentation du gourmand est celle d'un égoïste qui dévore, accapare et devient une menace pour la société, d'autant plus en temps de disette. Le moine glouton et jouisseur est raillé dans la littérature médiévale et plus tard, le roi Louis XVI, trop vorace, sera perçu comme l'affameur du peuple.
Comme il est bien naturel par ailleurs de prendre du plaisir en mangeant, l'église romaine va osciller au fil des siècles entre rigorisme et tolérance, prônant surtout la modération. Avec le temps, les manières de table vont se codifier et la gourmandise, encadrée, devenir acceptable. Elle s'émancipe au XVIIe siècle avec l'essor des livres de cuisine, l'art du bien manger et sa valorisation devenant peu à peu un signe de distinction sociale, la table n'étant plus seulement le lieu où l'on mange, mais celui où l'on parle et où, le bon vin aidant, les choses de l'esprit peuvent se développer.
" Les adultes ont accès à mille sortes de voluptés, mais pour les enfançons, il n'y a que la gourmandise qui puisse ouvrir les portes de la délectation." Amélie Nothomb
Aujourd'hui, dans notre société largement déchristianisée, la question morale s'est déplacée vers le culte de la minceur et la prédominance de la santé. Comme si le discours médical avait pris le relais de l'église pour nous culpabiliser de nos excès alimentaires. Idéalement, il faudrait manger sans sel, sans sucre et sans gras, même si dans le même temps, aucune voix autorisée ne s'élève contre les ravages de la nourriture industrielle qui en est bourrée.