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La symbolique des couleurs à travers les époques

Annick Boubon

Les couleurs sont loin d’être banales. Leurs effets sur notre inconscient et nos perceptions véhiculent des codes, des superstitions, des connotations qui impactent notre quotidien, nos comportements, notre langage même et cela depuis des siècles. Pour Michel Pastoureau historien, anthropologue, spécialiste des couleurs, « les couleurs reflètent les mutations sociales, idéologiques, religieuses de chaque période de l’Histoire. La symbolique des couleurs est très diversifiée : chaque couleur est ambivalente avec ses bons et mauvais aspects qui varient selon le contexte. » Il compte 6 couleurs : le bleu, le rouge, le blanc, le jaune, le vert et le noir.

LE JAUNE

Le jaune est une couleur joyeuse, stimulante, mais qui n’a pas toujours bonne réputation.

Symbole : l’intuition, la créativité, la chaleur, le soleil mais aussi la traitrise, le mensonge.

Histoire : en Asie, le jaune était la couleur des empereurs, associée au pouvoir, à la richesse et à la sagesse. Le jaune mis en concurrence avec le doré du Moyen Âge a été dévalorisé et associé par son côté plus mat et éteint, à la maladie, la tromperie et le mensonge mais a pris aussi la couleur de l’ostracisme affiché sur ce que l’on veut exclure ou condamner. Au 19e siècle, les maris trompés étaient affublés au théâtre d’une cravate ou d’un costume jaune. Le jaune peut être associé aussi à la couleur du soufre (couleur diabolique). C’est à la période impressionniste et des « fauves » que le jaune sera réhabilité (tournesols de Van Gogh…). Plus récemment, le jaune des véhicules de la Poste, les maillots des équipes de foot (le Brésil).

Expression : rire jaune, carton jaune.

Usage : étoile jaune nazie, maillot jaune, pavillon jaune (pour les bateaux en quarantaine), panneaux routiers pour annoncer un danger, les émoticônes.

LE ROUGE

C’est une couleur ambivalente : celle du feu, de la passion, de l’action, de la vigueur, de la joie de vivre, de la vitesse… mais aussi celle du péché, de l’interdit, le sang, l’enfer… C’est aussi la couleur qui attire le plus l’œil.

Symbole : traduit la force, la passion la puissance, mais aussi l’interdit, le danger.

Histoire : il y a 35 000 ans, le rouge est utilisé dans les peintures rupestres à partir de la terre ocre-rouge.

Dans l’antiquité, il est lié au pouvoir (dieu Mars, les centurions romains, les prêtres…). Au 13e et 14e siècle, le pape (en blanc jusque-là) ainsi que les cardinaux optent pour le rouge (sang du Christ). Mais en parallèle, le diable est représenté également en rouge. Pour les réformateurs protestants, le rouge est immoral. Si au Moyen Âge le bleu était plutôt féminin, et le rouge masculin, les choses s’inversent. La robe de mariée est rouge jusqu’au 19e. Par ambivalence, les prostituées ont l’obligation de porter un vêtement rouge (le divin et le péché de chair). Au 18e, un chiffon rouge signifie danger. En 1789, un drapeau rouge sera placé aux carrefours pour signifier l’interdiction d’attroupement. Il deviendra l’emblème des peuples opprimés et de la révolution (le sang des martyrs). Aujourd’hui, le rouge est synonyme de fête, de Noël, des spectacles (les fauteuils des opéras et théâtres…) et de l’amour bien sûr !

Expression : voir rouge, alerte rouge, rouge de colère.

Usage : panneaux de sens interdit, du Stop, feux rouges, corrections en rouge, sanction (carton rouge), rouge Ferrari, Netflix, Coca-cola.

LE VERT

Le vert est obtenu en mélangeant deux couleurs primaires : le bleu et le jaune. Selon le dosage du mélange, c’est une couleur plus ou moins chaude. Il est cependant réputé pour ses vertus apaisantes.

Symbole : l’espoir, la chance ou la malchance, le hasard, le calme, la nature, l’écologie.

Histoire : la couleur verte fut un véritable problème pour les teinturiers du fait de la difficulté à stabiliser le pigment. Ainsi, le vert se délavait, s’usait : un cauchemar ! Au Moyen Âge, on utilisait de l’oxyde de cuivre pour teindre les costumes en vert. Ce composé chimique étant très toxique, de surcroît instable en présence d’humidité, aurait été à l’origine de nombreuses intoxications de comédiens. Ce qui lui a donc conféré une symbolique négative, telle que le poison, l’envie ou encore l’avarice mais aussi le destin. Ce n’est qu’à l’époque romantique que le vert doit son salut avec notamment l’orientalisme, depuis lors il est le symbole de la nature.

Expression : avoir la main verte, recevoir une volée de bois vert, donner le feu vert, en voir des vertes et des pas mûres, être vert de jalousie, se mettre au vert.

Usage : le dollar, l’habit vert des Académiciens, les tapis de jeu, Greenpeace, les partis écologistes.

LE BLEU

C’est la couleur préférée des Français et des Européens car c’est une couleur consensuelle.

Symbole :  traduit le calme, la sincérité, la paix (drapeau des Nations Unies, des Casques bleus), l’immatérialité, la sagesse, la méditation.

Histoire : le bleu n’était pas utilisé à la préhistoire, dans l’antiquité, chez les Grecs et les Romains non plus car considéré comme la couleur des barbares alors que couleur divine chez les Egyptiens. Il faut attendre le 12e siècle pour que le bleu du fait de l’évolution des croyances religieuses (le dieu des Chrétiens devient un dieu de Lumière et la lumière devient bleue) pour que la Vierge, les vitraux, les ciels des églises s’en parent. Le bleu devient couleur royale depuis les Capétiens, des seigneurs, puis des aristocrates. A la fin du Moyen Âge, une vague moraliste va provoquer la Réforme qui définira des couleurs dignes et d’autres non. Le noir, le gris et le bleu sont promulgués pour le vêtement masculin. Au 18e siècle, le bleu devient la couleur préférée des Européens. Le Romantisme en accentue la tendance. Le bleu fut aussi la couleur des républicains contrairement au blanc des monarchistes et au noir du parti clérical. Après la Première Guerre mondiale, le bleu est devenu la couleur des conservateurs. Aujourd’hui c’est une couleur consensuelle, discrète et passe partout.

Expression : peur bleue, bleu de colère, sang bleu, être fleur bleue, avoir les bleus.

Usage : le blue jeans depuis 1850, costume des politiques, Bleu Klein 1960, en pub dénote la fraicheur, l’hygiène.

LE BLANC

Il a souvent été question de savoir si le blanc était réellement une couleur. Presque partout dans le monde, le blanc est synonyme de pureté et d’innocence.

Symbole : généralement associé à la pureté, l’innocence, la chasteté, au mariage mais aussi à la vieillesse, la mort.

Histoire : utilisée depuis la préhistoire, le blanc s’impose en tant que la couleur de l’innocence, la pureté mais aussi la sérénité et la paix. A la Guerre de Cent ans, au 14 et 15e siècle, le drapeau blanc est brandi pour demander l’arrêt des hostilités. A partir du 20e siècle, un code nous est resté, la mariée porte du blanc. Le blanc rime aussi avec propreté et hygiène (pendant des siècles les sous-vêtements étaient blancs), linge de lit blanc, cotons tiges, baignoires, réfrigérateurs. Le blanc est également un symbole fort de la lumière divine (anges, vierge) mais aussi de l’étrange (les fantômes, les revenants) et de la vieillesse (cheveux blancs, le linceul blanc) et enfin le froid (la neige, le givre).

Expression : blanchir l’argent sale, semaine du blanc, plus blanc que blanc, page blanche, voix blanche, nuit blanche, balle à blanc, chèque en blanc, j’ai un blanc.

Usage : robe de mariée, robe de communion, linge de maison…

LE NOIR

Le noir est l’absence de couleur, il est obtenu par le mélange des 3 couleurs primaires. C’est à la fois le tout et le rien. Souvent associé au blanc (yin yang, cinéma et photos en noir et blanc).

Symbole : l’élégance, la modernité, le luxe, les ténèbres, l’inconnu, la mort, le deuil.

Histoire : couleur des ténèbres, de la mort et de l'enfer, le noir n'a pas toujours été une couleur négative. À partir du 14e siècle, le noir devient à la mode de par la Réforme. Symbole d’intégrité et de dignité, couleur de la rigueur, de la vertu, du refus de toute ostentation, le noir devient la couleur de choix des hommes de pouvoir : juristes, magistrats, universitaires… Le noir a été progressivement évincé de la vie sociale au bénéfice du bleu au début du 20e siècle. Il devient alors le symbole des marges : anarchistes et voyous en « blouson noir ». On affiche ainsi un décalage envers les normes sociales. Et depuis quelques décennies, il incarne surtout l'élégance et la modernité.

Expression : broyer du noir, mouton noir, être sur la liste noire, un regard noir, la bête noire, le marché noir.

Usage : les smokings noirs, « petite robe noire », les « gothiques », cartes bancaires (la World Elite Mastercard).

Spot Magazine no 16En couleurs

Auteur·e·s :
Cindy Brun et Odile Duplessy, Annick Boubon, Jean-Claude Rigal, Lillian Nobilet, Cindy Brun, Hélène Baldassin, Caroline Mitlas, Patrick BERNARD