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L’art réside-t-il dans les musées ?

Lillian Nobilet

Photo Christine Bulloc - article L'art reside-t-il dans les musees

Lorsque nous avons travaillé ce numéro de SPOT, nous nous sommes interrogés sur la place que les musées pourraient y tenir. Les musées ne sont-ils pas le lieu où les arts résident ? Nous nous sommes alors rapprochés de Christine Bouilloc, Directrice du Musée Bargoin et prochainement co-directrice du musées d'Art Roger Quillot, pour savoir si l'art habitait vraiment dans les musées...

CHRISTINE, TU DIRIGES LE MUSÉE BARGOIN, DONT LA COLLECTION TEXTILE VA ÊTRE TRANSFÉRÉE AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS QUE TU VAS DONC CO-DIRIGER. TU ES ARRIVÉE LÀ APRÈS QUEL PARCOURS, ET POUSSÉE PAR QUELLES PASSIONS ?

Après mes études en histoire de l’Art j’ai voulu poursuivre un travail de recherche sur les textiles, mais aucune filière universitaire ne le permettait. J'ai donc fait des stages chez une négociante connue à Clermont-Ferrand, Nicole Mainguet à Soleil d’Orient. Ces stages m'ont permis de mieux connaître le tapis. J'ai suivi des cours à Lyon pour découvrir les arts de l'Islam, intéressée, j'ai poursuivi par des certificats à la Sorbonne. Mais déjà, j'étais poussée par une nouvelle curiosité : toutes ces études concernaient essentiellement des productions d'art de cour, mais quid du commun des mortels ?

Car c'est ça qui est formidable avec le textile : il suffit qu'un fil de chaîne croise un fil de trame, et cela s'inscrit dans une géographie, un contexte politique, une philosophie.

Le textile c'est le tapis de la cour pour très peu, le tapis de prière pour certain, c'est aussi le tissu que l'on porte. Cela traverse tous les domaines des sciences humaines.

L'ORIGINALITÉ DU MUSÉE BARGOIN RÉSIDE DANS CETTE DOUBLE COLLECTION : L'ARCHÉOLOGIE ET LE TEXTILE. COMMENT FAIT-ON DIALOGUER DEUX DISCIPLINES À PRIORI SI ÉLOIGNÉES ?

Nous avons pensé ces collections comme des « prétextes » pour parler de l'humain. Avec l'archéologie, il s'agit d'appréhender les traces de l'humain dans le local, et, à travers le tissu, d'envisager notre rapport au monde, à l’altérité. Des passerelles apparaissent alors, avec des motifs, des textiles qui se font échos par-delà le temps et la géographie. Ça a été un formidable travail d'équipe que de travailler à cette cohérence : chaque musée est une expression d'une équipe, expression d'un regard sur le monde à destination du public.

IL NE ME SERAIT PAS VENU À L'IDÉE D'ASSOCIER LE MOT "EXPRESSION" À MUSÉE. J'AI PLUTÔT L'IDÉE DU SILENCE !

Alors çà c'est vraiment intéressant, car un musée c'est un lieu d'expressions diverses, à plusieurs niveaux. En premier lieu on est en face des œuvres, des objets qui sont l'expression de celui qui les a faites. Mais il faut savoir aussi que les musées ce sont des équipes, des compétences, des appétences, qui font que chaque valorisation du patrimoine est incarnée. Enfin c'est un lieu d'expression du public, à travers les échanges, les livres d'or, les conférences... Un musée n'est pas le lieu d'un savoir absolu, c'est un lieu de partage, d'interrogation. C'est un lieu de recherche, donc de questionnement.

BIEN SÛR, ET SI L'ON CONSIDÈRE L'ARTISTE ET LE CHERCHEUR TOUS LES DEUX COMME DES QUESTIONNEURS DU RÉEL, LE MUSÉE COMME LIEU DE SCIENCE, D'ART ET D'EXPRESSION PREND TOUT SON SENS...

Oui, tout à fait. Et il ne faut pas oublier un mot que j'aime beaucoup : la délectation. Un musée ce n'est pas l'exposition d’œuvres du passé, point-barre. Il ne faut pas oublier que nous sommes un établissement public, il faut nous rattacher au présent, au monde contemporain, au visiteur et à son plaisir. Le plaisir n'est pas le contraire de la connaissance. Bien au contraire.

Musée Bargoin

ON ENTEND UNE NOUVELLE FOIS ICI UN ENGAGEMENT POUR LE DÉCLOISONNEMENT DES DISCIPLINES, MAIS AUSSI DES REGISTRES. CETTE QUESTION VA DE NOUVEAU SE POSER AU MARQ : COMMENT VAS-TU FAIRE DIALOGUER LE TEXTILE ET LES BEAUX-ARTS ?

Ce qui est au cœur du musée des Beaux-Arts, c'est une présentation des grands courants de l’histoire de l’art et la question prégnante du chef-d’œuvre. En ajoutant la médium textile, plus anonyme, on interroge aussi la place de ces créations dans une acceptation plus large d’une histoire de l’art mondiale. C'est une approche qui met en dialogue des disciplines. Bien sûr nous travaillerons avec des historiens, des historiens de l'art, mais aussi des philosophes, des poètes, des artistes, des personnes de la société civile. Ils sont là les ponts.

Certaines lectures sont plus immédiates. Prenons le tableau de Sainte Cécile (1878) de Guillaume Dubuffe, présenté au MARQ. Sa robe ornée de broderies palestiniennes, se fait l’écho de celle présente au sein des collections textiles. Une mise en abîme patrimoniale en quelque sorte. Et puis il ne faut pas oublier qu'un tableau, c'est une toile !

COMME POUR TOUS LES ACTEURS CULTURELS, LA CRISE QUI A FAIT LE TRI DE CE QUI ÉTAIT ESSENTIEL ET DE CE QUI NE L'ÉTAIT PAS, DOIT FORCÉMENT VOUS DÉSTABILISER ?

Exactement, avec une question centrale : pourquoi les musées ne sont pas considérés comme essentiels ?

Il faut que nous parvenions à dépasser cette représentation du musée comme le lieu du savoir absolu et des sachants distants. On a un regard intimidé sur le musée. Nous allons nous mobiliser pour dépasser ces représentations. Il faut que nous révélions le manque du rapport aux œuvres, en montrant comment elles nous nourrissent.

EST-CE QUE CES RÉAPPROPRIATIONS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX DE CLASSIQUES PAR LE GRAND PUBLIC DES PEINTURES AU TRAVERS DE TABLEAUX VIVANTS SONT UNE MANIFESTATION DE CE QUE TU POINTES ICI ?

Oui, ce qui se joue c’est le rapport au Beau, à l'Extraordinaire. Il y a eu beaucoup de choses qui ont été inventées pour pallier la non-visite. Ce que j'ai trouvé assez fort, c'est que ça a permis de replacer les beaux-arts dans le vivant, dans une pratique visuelle et virtuelle. C'est un moment où l'on a crié « le musée n'est pas un lieu où l'art est mort ». Le musé n’est pas un lieu de l’expression passée, dépassée. Le regard des visiteurs est essentiel, il ramène à la vie. C'est ce qu'ont montré ces images.

QUELS LIENS POUVONS-NOUS TISSER, CSE MICHELIN ET MARQ ?

Il y a d'abord la proximité géographique. On parle d’acteur culturel, et pour nous vous en êtes un à part entière. On est aussi sur cette idée d'élargissement de la connaissance de la société, c’est-à-dire du tissu social, du tissu industriel, économique. Et vous êtes représentatif de toutes ces strates-là. On s'est rendu compte quand nous avons fait un état des lieux dans le cadre de la candidature de Clermont-Ferrand capitale européenne de la culture que nous n’avions aucune trace dans nos musées de la mémoire ouvrière dans la diversité de ses expressions. Vous êtes un CSE qui incarne une histoire industrielle, vous apparaissez comme un lieu ressource pour nous. Rencontrons-nous pour mieux nous connaître. Et puis vous avez ce lieu d'exposition, dont il ne s'agit pas de faire un lieu d'exposition en plus, mais un lieu de co-construction. Avec des projets de collectes, de mémoire du lieu par exemple.

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Spot Magazine no 14L’art en résidence

Représentant légal :
Patrick Bernard

Directeur de la publication :
Lillian Nobilet

Rédactrice en chef :
Annick Boubon

Auteur·e·s :
Jean-Claude Rigal, Lillian Nobilet, Patrick Bernard, Caroline Mitlas, Maxence Cordonnier, Lucie Jolivel, Cindy Brun, Cindy Brun et Odile Duplessy

Abonnement :
CSE Michelin – 8 rue Jacques Magnier 63000 Clermont-Ferrand – Périodique gratuit (sauf frais d’affranchissement)

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CSE Michelin – © anne-marie.rognon – © Zach Mitlas – Shutterstock.